Éditions Flammarion, 2015, 432 pages
UN HYMNE À L’AMITIÉ ET À LA LIBERTÉ
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« Nous avions à peine vingt ans et nous rêvions juste de liberté. » Cette phrase est la seule qu’Hugo est capable de prononcer devant le juge. Après tout, à quoi bon ? Raconter toute l’histoire aurait-elle changé la sentence ?
D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Hugo a toujours eu envie de fuir Providence, cette petite ville tranquille, avec ses rangées de maisons toutes identiques et ses gens sinistres. De son enfance, il se souvient surtout de la disparition de sa petite sœur, Véra, fauchée par une moto. Son père ne lui porte guère d’intérêt, si ce n’est pour le battre de temps à autre et son alcoolique de mère ne cesse de l’accabler de reproches. Comble de malheur, après s’être fait renvoyé du lycée pour violences, ses tortionnaires de parents l’inscrivent dans un établissement privé, similaire à un monastère peuplé de gamins huppés, merci bien. « J’étais comme un canard au milieu d’une bande de saloperies de cygnes. »
Pourtant, c’est dans ce lieu qu’il fait la rencontre de Freddy Cereseto, le Rital craint et admiré par tous, l’ami qui va changer sa vie à jamais. Ce dernier lui présente Oscar, dit le Chinois malgré ses origines vietnamiennes et le chétif Alex, surnommé la Fouine. Hugo intègre cette bande de marginaux devenue sa vraie et unique famille et les gens commencent à l’appeler « Bohem ».
« Je me suis senti parmi les miens. Dans leur façon de parler, dans leur façon de se tenir, dans leur façon de jurer, de se payer la tête des profs, j’avais l’impression de me reconnaître. Comme si on avait toujours été sur la même route – plutôt du genre chemin de traverse – et que je venais seulement de les rattraper, un peu essoufflé d’avoir couru. »
Ensemble, ils se livrent à toutes les déconnades sans autre revendications que l’indépendance et l’amitié. « L’amitié, Hugo, la vraie, c’est une histoire de confiance. De confiance aveugle. C’est ça qui différencie les vrais amis des autres. » Et puis vient ce jour décisif où Bohem découvre que la moto lui permet d’être vraiment lui-même ; il peut enfin exaucer son rêve et quitter Providence vers la liberté… Mais jusqu’où cette route le mènera-t-elle ?

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LUMIÈRE SUR MON RESSENTI…
« Ton histoire est aussi improbable que la réalité. » soufflait Terry Gilliam à Albert Dupontel après la lecture du script d’Adieu les cons. Je trouve que cette phrase pourrait tout aussi bien s’adresser à Hugo, dit Bohem, tant elle illustre bien sa situation. Nous rêvions juste de liberté est un cri universel et intemporel, un manifeste sur l’insoumission et la volonté de vivre sans contrainte ; rouler sur l’asphalte, se laisser porter par le vent, écarter les bras et embrasser le monde. Vivre en nomade, voir du pays sans rien devoir à personne, hormis à ses frères de meute. Arborer les « couleurs » de son clan et avoir pour seules règles ce leitmotiv transmis entre initiés : LH&R (Loyauté, Honneur et Respect).

Cette virée tribale raconte l’histoire d’un rêveur – disons même un romantique – guidé par ses émotions, en quête perpétuelle d’authenticité et d’aventure ; « vivre pour de vrai, où plus rien ne compte que l’instant présent, parce que ce présent est si savoureux et qu’on a l’impression qu’il nous appartient tout entier ». Bohem est façonné – et fasciné – par les livres de Jack London, Jack Kerouac, J. D. Salinger et John Steinbeck. Ses espoirs reflètent le même souffle romanesque. Ce livre sorti en 2015 n’a pas à rougir des références citées ici, bien au contraire ! Nous rêvions juste de liberté est un uppercut, une immense claque qui a fait basculer mon âme dans le magique. Après cette traversée en moto, comment passer à autre chose ? Comment reprendre le cours normal de son existence ? Comment taire les émotions qui transfigurent tout mon être après avoir mesuré la force d’inertie qui parcourt ce roman ? L’émotion est partout, dans les yeux humides, la gorge serrée, elle vous fait battre le cœur au rythme des moteurs, des coups, des rencontres humaines. Bohemian Rhapsody raisonne encore dans mes oreilles et dans mon esprit.
« Is this the real life ? Is this just fantasy ? Caught in a landside, no escape from reality » 🎵
Je n’ai aucune envie d’oublier Bohem, Freddy, le Chinois ou la Fouine, cette bande de gamins à l’image de rebelles, tous brisés et rejetés par la société… Un peu comme ces quatre garçons dans le film Stand by me de Rob Reiner. Car ce qui nous touche au fond, c’est de saisir leurs sentiments, de les comprendre et les ressentir à notre tour. Est-ce que tout cela aurait été différent dans la vraie vie ? Nous serions-nous sentis aussi proches de cette bande tant redoutée ? Aurions-nous chercher à comprendre ces gamins un peu en marge ?
L’école, on dit souvent qu’elle est là pour donner à tous les gosses la même chance, leur assurer un avenir et patati patata. Mais les gens comme nous, l’école, c’était à croire qu’elle était là pour nous briser. Nous briser encore plus.
Le prologue dans le tribunal est extrêmement pertinent car il définit d’emblée le propos du livre : si l’émotion n’est pas à chercher dans la réalité de ce monde, en revanche elle est à retrouver du côté de la fiction. Hugo ne cherche même pas à se défendre, à expliquer ses motivations au juge. Tout le livre montre la désincarnation de notre société et l’absurdité d’un système – la justice, l’institution scolaire – qui ne s’attache pas à comprendre l’individu pour s’en tenir uniquement à des faits simples et purement formels. « Moi, mon petit bonheur simple c’était de vivre et de rouler avec cette belle bande de voyous dont personne d’autre voulait. » Quand Bohem nous raconte son histoire, à nous lecteurs, il le fait si bien. Pour ça, il faut reconnaître que la plume de l’auteur, Henri Loevenbruck est d’une habileté incroyable. L’air de rien, sous ce langage « parlé » se glissent des mots forts, des formules à la puissance d’évocation sans pareil qui rendent les personnages – surtout Bohem – si humains, imparfaits et attachants. Et ce lien si intense avec Freddy, ce grand frère qui nous initie à sa conception de la liberté, de la confiance en soi et de l’amitié sans faille. Dans cette odyssée en trois actes, il va s’agir de questionner les limites de ces trois grands principes.
Ce livre vise dans le mille, en plein cœur, bam ! Il sonne si juste… et cette fin est magistrale, impossible de retenir ses larmes et de reprendre son souffle. Paradoxal me direz-vous pour une histoire qui respire autant l’envie de vivre. Enivrant, époustouflant, intense… Aucun mot n’est assez fort pour exprimer l’émotion réelle qui s’en dégage. Voilà un compagnon de voyage que j’emmènerais volontiers avec moi sur une île déserte. Avec cette bande de trublions, c’est une belle promesse d’aventures et l’assurance de ne jamais se sentir seul. Vraiment, une claque ce bouquin.
Pour boucler la boucle, j’ai envie de terminer ma chronique avec cette jolie citation sur l’importance de rester soi-même.
Dans la vie, je crois qu’il vaut mieux montrer ses vrais défauts que ses fausses qualités. Vaut mieux surprendre que décevoir.

