Nickel Boys • Colson Whitehead

par Porteuse de Lanternes

Éditions Albin Michel, The Nickel Boys traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé, 2020, 272 pages

🔎 AVANT-PROPOS…

J’associe souvent Betty de Tiffany McDaniel à Nickel Boys de Colson Whitehead car ils sont régulièrement au coude à coude dans les palmarès des meilleurs romans étrangers parus à l’occasion de la rentrée littéraire de 2020. Tous deux évoquent l’illusion du rêve américain. J’avais adoré le premier sur l’histoire de « la petite indienne » – faite de lumière et d’ombres – j’étais donc curieuse de découvrir celui qui nous intéresse ici, couronné du prix Pulitzer. Pour commencer, un petit éclairage 🔦 sur le sujet douloureux de ce livre…


L’ÉCOLE DE LA SAPE ET DE L’HUMILIATION

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La presse américaine révèle l’existence d’un cimetière clandestin aux abords de la Nickel Academy, une école disciplinaire pour mineurs, fermée depuis trois ans. Elwood Curtis est un ancien pensionnaire ; cette découverte ravive des souvenirs tus pendant près de cinquante ans. Dans la Floride ségrégationniste des années 60, il est encore ce jeune garçon noir exalté par les discours du révérend Martin Luther King. Fasciné par la lutte pour les droits civiques, il écrit chaque soir des lettres sur la question raciale et participe à une manifestation propre à nourrir ses rêves de révolte. Élevé par sa grand-mère Harriet, il prend conscience de la valeur du travail et devient un lycéen méritant. La veille d’intégrer une université prestigieuse, ses rêves d’avenir s’évanouissent lorsqu’il est envoyé dans une maison de correction à cause d’une erreur judiciaire. La Nickel Academy se revendique comme un établissement disposé à assurer un équilibre entre redressement et enseignement. En réalité, les murs dissimulent une prison sordide où les pensionnaires sont brutalisés et humiliés. « Ici, se dit Elwood, les criminels violents étaient du côté du personnel. » Le garçon se lie d’amitié avec Turner, qui lui inculque les règles pour survivre et quitter cet enfer le plus vite possible. Perdu dans ce cauchemar sans foi ni loi, Elwood va devoir trouver sa manière à lui de résister.

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LUMIÈRE SUR MON RESSENTI…

Nickel était un établissement raciste jusqu’à la moelle – la moitié du personnel enfilait probablement un costume du Klan tous les week-ends -, mais aux yeux de Turner, sa cruauté allait plus loin que la couleur de la peau. C’était Spencer. C’était Spencer et c’était Griff et c’étaient tous les parents qui avaient laissé leurs enfants atterrir là. C’étaient les gens.

Voilà pourquoi Turner emmena Elwood aux deux arbres. Pour lui montrer une chose qu’il ne trouverait pas dans les livres…

Colson Whitehead met en lumière l’histoire effroyable de la Dozier School for Boys en Floride, dont il apprend l’existence au début des années 2010 – quelques années après la fermeture du centre. À l’instar de son précédent roman Underground Railroad, l’auteur entreprend un devoir de mémoire sur la ségrégation raciale aux États-Unis. J’entends par « devoir de mémoire » la charge ou plutôt l’obligation morale de transmettre un événement historique tragique afin qu’il ne se reproduise pas. Se souvenir pour ne plus jamais recommencer. Dans Nickel Boys, il est à la fois question de racisme et d’impunités, d’atrocités trop longtemps dissimulées, d’êtres brisés et oubliés dans une période où la lutte pour l’égalité raciale et les droits civiques menée par Martin Luther King prend de l’ampleur.

Ce livre tire sa force dans ses révélations sordides, dans la dénonciation de cette violence exercée au sein d’un centre de correction pour mineurs ; il offre un hommage à des centaines de garçons – des enfants – victimes de sévices et d’injustices pour la simple raison qu’ils étaient Noirs.

Le sujet révoltant et douloureux de Nickel Boys constituait en théorie une amorce saisissante pour Colson Whitehead, avec la promesse d’un roman mémorable. Le livre lui a même valu un second prix Pulitzer, un exploit qui l’élève au même rang que les auteurs Booth Tarkington, William Faulkner et John Updike. Si à mes yeux les récompenses ne sont pas forcément un symbole d’excellence et n’influencent pas mes lectures, ce prix décerné à une œuvre américaine fait office d’exception. Il m’évoque des romans bouleversants comme Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur d’Harper Lee par exemple qui traite justement d’injustices raciales. Alors pourquoi ai-je éprouvé de la déception en refermant Nickel Boys ?

Mon âme romanesque n’a pas vraiment été conquise. Je ne suis jamais parvenue à entrer dans le récit malgré un prologue glaçant et stupéfiant, similaire dans le procédé à celui de Chanson douce de Leïla Slimani. La scène d’ouverture nous met immédiatement face à l’horreur, nous retraçant la découverte de ce cimetière clandestin appelé « Boot Hill » et les quarante-trois corps retrouvés par des étudiants… Puis la presse nationale s’emparant de l’histoire pour « recracher le Nickel invisible » et finalement nous conduire vers les « survivants » de cet établissement hanté. Elwood Curtis sait qu’il va devoir retourner sur les lieux de ce terrible passé, ce qui implique pour le lecteur un retour vers les années 60. Colson Whithehead a fait le choix de la fiction pour nous faire vivre les événements de l’intérieur et ainsi mieux ressentir l’horreur à travers le personnage d’Elwood, victime innocente. Pourtant, à mes yeux, il ne parvient jamais à concilier pleinement fais réels et texte romanesque. Même si le livre n’est pas un pavé, j’ai eu le sentiment de longueurs à cause d’une énumération de faits relevant plus du compte rendu journalistique que de la fiction. Les dialogues n’en sont jamais vraiment, mais donnent plutôt l’impression de « citations » extraites d’archives. Du centre en lui-même, ses lieux clos, froids, je n’en ai pas saisi complètement l’ambiance, même si le concept de la « Maison-blanche », une ancienne remise à outils dans lesquels les pensionnaires sont roués de coups, plane comme une menace constante. Je ne parvenais jamais à m’immerger dans l’action présente car l’auteur use régulièrement de digressions sur la vie de ses personnages. Cette construction un peu labyrinthique ne fonctionne pas et m’a fait perdre de vue l’essentiel : la réalité de Nickel, devenue plus épisodique qu’immersive.

Nombreux sont les lecteurs à trouver l’épilogue magistral, je dois être un peu blasée car le retournement ne m’a pas tant surprise, il m’a rappelé celui d’un autre roman chroniqué sur ce blog. Malgré ma déception, je reste néanmoins marquée par ce récit inspiré de faits réels, qui fait partie de l’Histoire américaine. L’idée même que cela ait pu exister est bouleversant.

La sortie du livre aux États-Unis est survenue dans une période d’émeutes raciales et sociales sur tout le territoire ; elle montre une plaie à vif jamais parvenue à cicatriser. Alors que le policier jugé par le tribunal de Mineapolis vient d’être reconnu coupable pour le meurtre de George Floyd – suscitant une joie et un soulagement immense pour les Afro-Américains – il est évident que la lutte contre les discriminations raciales reste un combat encore difficile à mener, même si un pas vient d’être franchi. Quant à l’histoire de la Dozier School, elle est désormais inscrite dans un livre, à nous lecteurs de ne jamais l’oublier…

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