Éditions Grasset, 2013, 336 pages, (Coll. Littérature Française)
FAIRE DE LA TRAGÉDIE UNE ARME DE PAIX ET DE FRATERNITÉ
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Georges est un soixante-huitard convaincu, militant internationaliste plein de colère, qui se rêve en héros. Sur les bancs de la fac à la Sorbonne, il se lie d’amitié avec Samuel, un metteur en scène grec, réfugié politique et juif en secret. Depuis 1979, son ami passe son temps entre Paris et Beyrouth car il aspire à monter la pièce de théâtre Antigone, la version écrite par Anouilh. Il cherche ainsi à instaurer une trêve dans une zone de guerre, avec une troupe de comédiens aux communautés opposées : palestiniens, druzes, phalangistes, chiites, chrétiens. Mais trois ans plus tard, Sam est sur le point d’être emporté par un cancer fulgurant. Il fait promettre à Georges de terminer ce qu’il a commencé au Liban : rassembler les acteurs un à un et monter Antigone sur une ligne de feu pour une unique représentation. Georges s’engage dans la belle utopie de son ami sans connaître le véritable visage de la guerre.
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LUMIÈRE SUR MON RESSENTI…
Comment pouvais-je savoir que ce serait un tel choc ? Moi aussi j’ai suivi ce projet insensé d’Antigone à Beyrouth sans être préparée à ce que j’allais vivre. Je trouvais l’idée très belle, elle me faisait penser au livre de Christian Carion, Joyeux Noël, où deux camps ennemis concluent une trêve le temps d’une nuit.
Ici je m’adresserai directement à vous, Sorj – Georges ? – parce qu’il est évident que ce livre est un exutoire, le cri désespéré du survivant qui a vu l’innommable. Comme vous le dites aux lycéens qui vous ont attribué leur prix Goncourt, vous donnez une pierre à chacun de vos lecteurs pour que votre sac à vous soit moins lourd.
Je suis un peu naïve, j’ai cru que vous me parleriez de théâtre sur fond de guerre et pas l’inverse. J’ai pensé que ce quatrième mur était vraiment une façade capable de renforcer l’illusion de paix à l’instar de la jeune Ofelia dans Le labyrinthe de Pan s’inventant un monde imaginaire pour échapper à l’horreur de la Guerre d’Espagne ou encore du personnage de Roberto Benigni dans La vie est belle cherchant à transformer en pantalonnade l’inqualifiable. Mais dans toutes ces histoires, c’est l’horreur des massacres, la violence et la barbarie qui s’emparent du premier rôle. Vous ancrez votre récit au Liban, mais en réalité vous parlez de toutes les guerres.
Pourtant au départ j’étais sceptique. Avec cette couverture neutre, sans fioritures, je craignais un manifeste politique destiné à une certaine élite intellectuelle qui me mettrait sur la touche. En vérité, ce que vous nous montrez c’est ce sentiment d’impuissance face à la guerre.
Vous ne savez pas. Personne ne sait ce qu’est un massacre. On ne raconte que le sang des morts, jamais le rire des assassins.
Finalement, c’est l’histoire de convictions profondes qui vont être mises à mal par la réalité de la guerre et éloigner Georges de ses préoccupations d’antan.
J’ai retenu de très belles phrases, souvent courtes et incisives. Vous ne vous embarrassez pas de descriptions, vous préférez l’écriture dans sa forme brute pour nous immerger au plus près de la guerre. C’est très dur. Au fur et à mesure du livre, j’osais à peine tourner les pages, comme si je redoutais de faire un pas de plus pour éviter l’embuscade. Votre texte est profondément humaniste, jamais moralisateur. Le désespoir de Georges est devenu le mien, confrontée à moi-même face à l’horreur. Pourtant je n’ai pas pleuré. J’ai refermé le livre dans un silence ému et j’ai mis du temps à reprendre conscience de ce qui m’entourait. Voilà un livre qui hante la mémoire et qui guide notre conscience avec une intensité rare et puissante !
