Éditions Gallmeister, traduit de l’américain par Denis Lagae-Devoldère, 1993 (paru en France en 2006), 256 pages. (Coll. Totem)
AVOIR SA PROPRE HISTOIRE À RACONTER
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Pete Fromm a quitté son Wisconsin natal pour étudier la biologie animale à l’Université du Montana, même s’il n’y porte guère d’intérêt. En réalité, il rêve d’histoires de trappeurs et de grands espaces sauvages. En comparaison, sa vie à lui paraît bien fade. A l’automne 1978, alors qu’il débute sa troisième année universitaire, il accepte, sur un coup de tête, un emploi de sept mois qui consiste à surveiller des œufs de saumon et à briser la glace formée aux extrémités de leur bassin. Cette tâche quotidienne d’une demi-heure, implique de passer l’hiver seul dans une tente des Eaux & Forêts, au cœur des Rocheuses. Pete voit là l’occasion parfaite de devenir un grand aventurier avec des récits qui vaudront la peine d’être racontés par la suite. S’ensuivent deux semaines de préparation hasardeuses et de fêtes frénétiques avec ses amis avant de partir avec sa petite chienne Boone à la frontière entre l’Idaho et le Montana. Alors que les gardes forestiers lui prodiguent quelques conseils rudimentaires de survie, Pete réalise naïvement qu’il s’est lancé dans cette aventure sans bien en mesurer les conséquences.
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LUMIÈRE SUR MON RESSENTI…
À mon sens, Indian Creek est le roman idéal pour découvrir un genre littéraire né aux Etats-Unis : le nature writing. Dans ce récit autobiographique, Pete Fromm narre sa rencontre à vingt ans avec le monde sauvage et il part du postulat – assez inquiétant – qu’il n’a aucune expérience. Contrairement au protagoniste principal d’Into the Wild, lui ne cherche pas un moyen de fuir la civilisation, il est simplement un rêveur épris d’aventures, qui voit là une occasion unique de jouer les apprentis trappeurs. Le jeune homme m’est apparu rapidement sympathique parce qu’il a cette humilité, cette sincérité d’admettre ses lacunes, ses erreurs et même ses regrets. Il raconte avec beaucoup de recul et d’humour son arrivée à Indian Creek :
Heu… c’est quoi une corde à bois ?
C’est avant tout un récit d’apprentissage et d’initiation.
L’écriture est claire, fluide ; elle se veut le reflet de sentiments simples et authentiques. Pete Fromm a une qualité que je retrouve chez cet écrivain de l’ouest américain, Wallace Stegner : c’est de savoir restituer des souvenirs lointains avec des détails très précis, très nets. Mais contrairement à l’auteur des Lettres pour le monde sauvage et du sublime La Montagne en Sucre, il n’est pas question ici de réflexion politique sur cette rupture entre l’homme moderne et la nature. Pete Fromm fait abstraction de toute morale. Sa solitude n’est pas non plus le prétexte à des réflexions philosophiques ; il n’est jamais question d’introspection mais juste d’émerveillement et de découverte. J’ai perçu chez l’auteur, la volonté de partager un récit sincère, sans prétention ni fioritures.
Le récit ne m’a pas bouleversée même si je ne me suis pas ennuyée. Pete devient tour à tour bucheron, trappeur, explorateur, chasseur… Et c’est peut-être ce dernier point qui m’a beaucoup heurtée dans le livre et qui m’a vraiment fait hésiter à le terminer. Au milieu de l’histoire, le jeune homme se transforme en braconnier, j’avais l’impression de lire Tintin au Congo. C’est pourtant dit, il ne manque pas de provisions et j’ai assisté à de perpétuelles mises à mort d’animaux : ratons laveurs, élans, cerfs, puma, lynx… J’admets que la scène de la chasse au puma qui dure un certain temps, m’a mise particulièrement mal à l’aise. Heureusement, la fin m’a réconciliée avec le livre. Pete a un regard plus critique sur les méthodes des chasseurs et la postface est très réussie. Elle raconte comment cette expérience l’a transformé et sa rencontre décisive avec William Kittredge dans sa carrière d’écrivain :
J’avais découvert qu’il était possible de rêver en étant éveillé, un stylo à la main.
Indian Creek c’est l’aboutissement de son rêve d’enfant : celui de pouvoir enfin raconter une aventure au cœur de la nature, de la vie sauvage et des grands espaces. Et c’est rafraîchissant.
