Tomes 1 à 6, Éditions Hachette Jeunesse, Chronicles of Ancient Darkness traduits de l’anglais (Grande-Bretagne) par Bertrand Ferrier et Blandine Longre, 2005 – 2010
L’ÉCOLOGIE À L’ÈRE DE LA PRÉHISTOIRE
***
Six millénaires plus tôt, à une époque où la forêt couvre tout le nord-ouest de l’Europe, la vie du jeune Torak, 12 ans, bascule lorsqu’un Ours démoniaque tue son père. Le garçon se retrouve seul, lui qui a toujours vécu à l’écart des autres clans. Il lui faut désormais respecter la promesse faite à son père mourant : trouver la Montagne de l’Esprit du Monde. En chemin, il noue un véritable lien fraternel avec un louveteau orphelin, Loup, destiné à le guider dans sa quête. C’est le début d’un long périple au cœur d’une nature sauvage et magique. C’est aussi la première fois que Torak fait la connaissance des clans, en particulier du chef des Corbeaux Fin-Kedinn et de sa nièce, la jeune Mage Renn. Bien malgré lui, Torak découvre alors qu’il pourrait être l’élu de la prophétie, le seul capable de défier l’Ours et sauver la forêt du Mal qui l’habite : Une Ombre attaquera la forêt, et nul ne pourra s’y opposer. Celui-qui-écoute donnera le sang de son cœur à la Montagne. Et l’Ombre se dissipera.
***
LUMIÈRE SUR MON RESSENTI…
Chroniques des Temps obscurs est une série jeunesse composée de six tomes, éditée en France entre 2005 et 2010. A l’instar des Enfants de la Terre de Jean M. Auel, le monde de Torak nous fait voyager loin dans le temps, à une période préhistorique située entre la fin de l’ère glaciaire et le néolithique. Force est d’admettre l’originalité d’un tel choix, se démarquant ainsi des romans de fantasy aux inspirations médiévales. Évidemment, le genre offre une plus grande liberté pour l’auteur et il n’est nulle question ici d’une reconstitution historique précise et fidèle, bien au contraire. Le mode de vie de nos héros est un véritable foisonnement des cultures : tantôt il s’apparente à celui des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, tantôt – comme l’indique Michelle Paver dans ses notes – à certaines cultures indiennes, inuites, africaines et japonaises. Aussi, j’ai trouvé que les éléments surnaturels et magiques s’harmonisaient parfaitement avec le récit, formes d’échos aux croyances et aux rituels des hommes.
Les trois âmes de chaque créature, l’âme-du-nom, l’âme-du-clan et l’âme-du-monde, ces âmes qui, à elles trois, forment ce que nous appelons l’esprit, ces âmes, donc, s’enracinent dans un corps…
L’intrigue prend des airs de fable écologique empreinte de spiritualité dans laquelle la nature et l’âme sont étroitement liés. Les rites funéraires imposent de dessiner des marques mortuaires sur le corps du défunt à l’aide du « sang de la terre » afin de guider l’âme dans son voyage. De même, le gaspillage est proscrit ; la chasse doit servir, non seulement à se nourrir, mais aussi à fabriquer des armes, des ustensiles… A fortiori, rien d’étonnant à ce que les grands méchants soient nommés les « Mangeurs d’Âme », sortes d’anti-écologistes visant à détruire la forêt. Cet imaginaire apporte un souffle romanesque et poétique, qui n’est pas sans rappeler l’univers post-ère glaciaire du film d’animation Frère des Ours, dans lequel il est question de cérémonies, d’esprits ou encore de symbole animal.
Son âme du monde est un fil doré qui le relie à tous les autres être vivants.
Michelle Paver porte une attention particulière au lien qui unit le jeune orphelin Torak à son « frère de meute » Loup et à son amie du clan des Corbeaux, Renn. En six tomes, elle parvient à construire une relation profonde entre les trois protagonistes. Les chapitres alternent les trois points de vue, même celui du loup. L’auteur emploie un vocabulaire simple avec des phrases courtes, sorte d’écriture cinématographique très découpée ; un travail sur le rythme où seul le verbe définit l’action. Des mots qui deviennent images, déroulant le fil immédiat de la pensée.
Elle rampa hors de son refuge, chercha une roche. En trouva une. Trop lourde. Elle la tira et la fit rouler jusqu’à sa cachette.
En revanche, le manque d’originalité de l’histoire m’a un peu heurtée. Les livres reprennent tous les stéréotypes de la littérature de jeunesse et de fantasy : un jeune orphelin livré à lui-même, héros malgré lui, une prophétie, des forces du Mal, de lourds secrets de famille refaisant surface… Malgré tous les efforts de l’auteur, je n’ai pas réussi à m’attacher à Torak, que j’ai trouvé trop obstiné, immature, n’apprenant jamais de ses erreurs. Pour un personnage surnommé Celui-qui-écoute, c’est paradoxal… Chaque livre est un peu la répétition du précédent, avec une quête désespérée construite sur un modèle similaire : Torak fonce tête baissée vers l’ennemi, sans l’ébauche du moindre plan, avec la volonté de tout accomplir en solitaire. Selon moi, la véritable héroïne de l’histoire, c’est Renn, toujours prompte à se sortir des situations difficiles grâce à ses connaissances et à ses analyses pertinentes. Si la relation entre Torak et Loup m’a fait penser à celle qu’entretiennent Fitz et Oeil-de-Nuit dans L’Assassin Royal de Robin Hobb, celle avec Renn m’a rappelé Sam Gamegie venant systématiquement à la rescousse de Frodo dans Le Seigneur des Anneaux.
Mais la plus grande faiblesse des livres, c’est d’abord le manque de profondeur des personnages secondaires. Au gré de ma lecture, j’ai eu le sentiment que les clans formaient une masse uniforme destinée essentiellement à ralentir la quête du héros. Ils ne se sentent nullement concernés par la menace qui plane sur la forêt et personne n’a même idée de proposer son aide. Le slogan « seul contre tous » porte bien ses lettres de noblesse concernant Torak. Mais surtout, l’apparition des personnages secondaires est très furtive et manque souvent de crédibilité. Ils ne semblent être que des prétextes pour faire avancer l’action et la force de leur attachement ou de leur aversion envers Torak varie subitement en fonction de la nécessité de l’intrigue. Par conséquent, j’ai eu l’impression que les péripéties d’un tome à l’autre étaient mal anticipées, cédant même à la facilité, notamment avec l’intervention du cousin Bale ou encore l’arrivée de Sombre dans le dernier tome.
J’aurais aimé découvrir Chroniques des Temps Obscurs plus jeune, à un âge où parler le langage des loups m’émerveillait. Malgré mes yeux d’adulte, j’ai toutefois passé un agréable moment de lecture en compagnie de Torak, Loup et Renn. À aucun moment je ne me suis ennuyée. Par son ambiance magique et unique, son époque judicieusement choisie et très bien décrite, ce roman atypique de fantasy jeunesse laisse une marque dans l’esprit de Celui-qui-lit.

… Pour ceux qui voudraient aller plus loin, Michelle Paver a annoncé en 2019 l’écriture de trois nouveaux livres faisant suite à Chasseur de Fantômes (tome 6). The Viper’s Daughter a été publié en anglais l’an dernier et le second est prévu pour avril 2021. Pour l’instant, aucune suite n’est parue en France, mais patience… nul doute qu’avec le succès international de la série, la traduction ne saurait tarder !
