Éditions Gallimard Jeunesse, 2019, 320 pages (Coll. Grand format littérature)
🔎 AVANT-PROPOS…
J’aime bien déambuler sur le portail des bibliothèques de la ville de Paris car je découvre toujours de nouveaux livres, notamment dans la rubrique « coups de cœur. » C’est comme ça que je suis tombée sur le commentaire d’une bibliothécaire jeunesse qui vantait les mérites de La bête de Porte-Vent. La couverture m’a complètement charmée avec ses tons bichromatiques. Elle est signée du dessinateur Riff Reb’s et fait de ce (premier) roman de Karine Martins un bel objet que j’avais très envie d’avoir entre les mains. Alors, de quoi ça parle ?
LES HAUTS DE PORTE-VENT
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Paris, 1887. Gabriel Voltz reçoit la visite impromptue du sinistre Barnabas Varga, un ecclésiastique chargé de maintenir secret l’Ordre de la Sainte-Vehme. Nul ne doit connaître l’existence de cette confrérie occulte sous peine d’être éliminé. Placée aux mains de l’Église, elle traque les « Égarés », des créatures surnaturelles dissimulées sous une apparence humaine : loups-garous, vampires, goules… Aucun de ces monstres ne résiste aux capacités surhumaines de Gabriel Voltz, un immortel contraint de collaborer avec cette organisation pernicieuse afin d’en apprendre plus sur sa véritable nature. Mais depuis sa dernière mission, il ne s’est jamais résolu à livrer la jeune Rose, seule rescapée d’une famille assassinée par un vampire. Pire, il a même décidé de prendre l’orpheline sous son aile, au risque de s’exposer à de graves sanctions ! Varga ne doit rien savoir pour l’adolescente. Alors, que fait ce dernier à son domicile en pleine nuit ? En réalité, l’ecclésiastique est venu lui confier une mystérieuse affaire de meurtres dans le Finistère. Par précaution, l’immortel emmène sa jeune protégée avec lui, déguisée en garçon sourd et muet. Aidé du père Grégoire Anselme, Voltz mène l’enquête afin de débusquer la créature qui sème la mort autour du manoir de Porte-Vent…

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LUMIÈRE SUR MON RESSENTI…
Peut-on faire quelque chose de noble, comme protéger les gens, tout en travaillant au service d’hommes qui tuent des innocents pour se couvrir ? C’était le dilemme au cœur de la vie de Gabriel.
Premier tome d’une trilogie amorcée sur la plateforme Wattpad – puis édité par Gallimard Jeunesse dans une version papier du plus bel effet – La bête de Porte-Vent est un roman fantastique et policier influencé par la littérature anglaise du XIXe siècle. Entre romantisme et époque victorienne, l’originalité de ce livre à l’ambiance gothique repose sur la transposition de son décor dans un village du Finistère, près de Morlaix. Si vous aimez Sleepy Hollow, cette histoire est susceptible de vous plaire.
Au travers d’un paysage pittoresque, Karine Martins entraîne son lecteur sur les traces d’une enquête pleine de mystères, de secrets et d’effroi jalonnée en même temps d’éléments surnaturels. Si les codes du récit fantastique sont parfaitement maîtrisés, je regrette que l’auteur ne parvienne pas à s’en affranchir. Le roman me fait penser à un exercice de style qui aurait pour consigne d’incorporer tous les poncifs du genre : bois sombres et inquiétants, église gothique, brume, cimetière et crypte, sarcophage ouvragé, manoir, sifflements du vent, la mer déchaînée ou encore la silhouette dissimulée sous une longue cape noire… De même les amateurs de romans policiers auront tôt fait d’identifier le(s) coupable(s) des quatre meurtres car une nouvelle fois le mécanisme n’a rien d’innovant, même si l’ensemble reste plaisant à lire (on retrouve des inspirations évidentes aux enquêtes de Sherlock Holmes).
Malgré tout, Karine Martins parvient à captiver son lecteur grâce à une écriture fluide, des dialogues cinglants et une caractérisation des personnages et des lieux précis qui nous plongent sans peine dans son univers. Sa passion pour la littérature de genre se ressent et elle parvient à la communiquer au lecteur ; je trouve cette authenticité vraiment plaisante. Dès lors, j’en ai pris mon parti et me suis amusée à repérer les références disséminées ici et là. Aussi, le domaine de Hurle-Vent décrit par Emily Brontë se transforme en domaine de Porte-Vent, les landes sauvages et brumeuses de Bretagne se confondant avec celles du Yorkshire. J’ignore si c’est l’effet « Wattpad », mais les chapitres ont la forme du roman-feuilleton, avec une intrigue interrompue au moment crucial pour relancer l’intérêt du lecteur.
Les personnages auraient mérité d’être plus approfondis, à commencer par Gabriel Voltz, un dandy cynique et caustique. Incapable de vieillir, notre héros conserve l’apparence d’un fringuant trentenaire – comme Dorian Gray – depuis une centaine d’années. Pour ne pas laisser libre cours au Mr Hyde qui sommeille en lui, notre Dr Jekyll est dépendant de son antidote fourni par la Confrérie des grands méchants, ce qui lui permet au passage de conserver certaines capacités comme sa force surhumaine et des sens plus aiguisés.

Karine Martins décrit avec force de détails les lieux lugubres et hantés pour donner plus d’impact à l’ambiance gothique du roman, mais elle oublie en même temps de donner une vraie crédibilité à son héros, censé être un vétéran de chasse. Comment Gabriel combat-il les Égarés ? Quelles sont ses armes, ses techniques, ses pouvoirs ? Mis à part son immortalité, qu’est-ce qui le rend si redoutable ? Au final, j’avais l’impression qu’il traquait les monstres sans préparation, ses plans étant souvent voués à l’échec. Il donne l’image d’un simple humain, qui combat avec des armes à la portée de n’importe quel autre protagoniste. J’aurais aimé en savoir plus sur ses cent dernières années à traquer des Égarés. Et les monstres, justement ? Quels sont-ils ? Par l’intermédiaire des questions posées par Rose, la jeune acolyte de Voltz, nous prenons connaissance au fil du récit des différentes bêtes qui hantent secrètement ce monde. Les informations sont réparties de façon à ne jamais laisser le lecteur se perdre dans cet imaginaire (j’ai voulu éviter le jeu de mot « s’égarer »). Dans le principe, l’idée m’évoque Harry Potter, notamment dans le second tome lorsque nos héros enquêtent sur la créature de la Chambre des Secrets. Alors forcément, comme nous ne connaissons pas toutes les bestioles qui peuplent l’univers du livre, de ce côté-là, nous acceptons de nous laisser porter… En revanche, trouver l’identité du meurtrier impose une réflexion plus « élémentaire ». J’ai trouvé que la recherche patinait un peu au milieu de l’intrigue.
Car c’était bien là le nœud du problème : après avoir identifié la créature, il fallait encore démasquer l’humain qui se cachait derrière.
Deux enjeux s’entremêlent dans cette intrigue : l’enquête policière et les complots diaboliques fomentés par la Sainte-Vehme. Les projets de la Confrérie serviront de fil rouge à la trilogie de Ceux qui ne peuvent pas mourir (lèvent la main). Et il reste de nombreuses questions en suspend concernant l’origine des pouvoirs de Gabriel et Rose…

En résumé, un récit fantastique young adult loin d’être révolutionnaire dont le plaisir réside avant tout dans la cohérence et la maîtrise des codes de la littérature de genre. Au passage, l’auteur interroge la figure du monstre, à l’instar de Frankenstein, de La Belle et la Bête ou de King Kong ; où réside véritablement le mal ? Chez l’homme ou la créature ? Affaire à suivre…
Un glossaire au début ou à la fin du livre n’aurait pas été de refus. À défaut, j’ai glané quelques informations dans le livre pour mettre un peu d’ordre. Petit bestiaire…
Type | Genre | Description |
Thérianthrope (Êtres capables de se métamorphoser en animal) | Loup-garou | / |
Lycans | Loups disproportionnés qui marchent sur leurs quatre pattes et sont beaucoup moins grands que les loups-garous. | |
Garache | Loup-garou femelle | |
Galipote | Créature métamorphe dont la transformation n’est pas influencée par les cycles lunaires. Elle est extrêmement rare. Selon les traditions, le processus de métamorphose varie. Certaines prétendent que l’âme de l’être maudit pourrait se détacher de son enveloppe charnelle pour venir s’incarner dans celui d’un animal. Pendant ce transfert, l’humain reste plongé dans une sorte de sommeil. D’autres les disent capables de se dédoubler et d’habiter en même temps un corps humain et un corps animal. | |
Cocatrix | Chimère | |
Voirloup | ||
Volkolak | ||
Vampire | ||
Goule |
